Motricité libre et activité autonome : libérez les bébés !

 

Tout au long de sa vie, la pédiatre hongroise Emmi Pikler a démontré l’importance de la motricité libre qui inspire aujourd’hui bon nombre de professionnels de la petite enfance. Libre de ses mouvements, l’enfant nous prouve qu’il est pleinement compétent et autonome. A nous de trouver notre place pour l’accompagner sans interférer dans ses découvertes et son développement.

 

enfant qui joue

 

Ysé est allongée sur le dos sur un tapis. Du regard elle capte les mouvements des arbres par la fenêtre, lève les jambes, s’étire et tente d’attraper ses pieds. D’un mouvement sur le coté elle tente de se retourner mais n’a pas suffisamment d’élan. Elle se contorsionne avant de revenir à ses pieds… Tous ses mouvements ont un sens, et il suffit de l’observer pour constater, de visu, ses progrès jour après jour. Savourant tout le plaisir de la découverte, la petite fille expérimente de manière autonome son corps et son environnement. Car sans avoir besoin de l’intervention de l’adulte, un enfant est capable de franchir seul, à sa manière et à son rythme, toutes les étapes de son développement, de la position sur le dos à la marche assurée selon un ordre génétiquement programmé ; et ce pour son plus grand plaisir.
Cette découverte, nous la devons aux observations scientifiques de la pédiatre et psychopédagogue hongroise Emmi Pikler, alors directrice de l’Institut Lòczy à Budapest, dont les travaux ont profondément changé notre regard sur le développement de l’enfant. Laisser à l’enfant une motricité libre comme elle le préconise, c’est lui permettre totale une liberté de mouvement afin qu’il découvre son corps et son environnement, développe une activité spontanée dans le respect de son rythme d’apprentissage. A la clé, une aisance corporelle parfois étonnante, une excellente capacité à évaluer les risques et à se tirer de situations imprévues, une meilleure confiance en lui…

Compétent, dès les premiers jours
Au quotidien, choisir la motricité libre se traduit simplement par une attitude mûrement réfléchie et un espace, un matériel, adaptés à l’enfant. C’est donc à nous de « composer l’environnement dans lequel il va pouvoir s’appuyer sur ses propres ressources pour faire lui-même » dès son plus jeune âge, explique Julianna Vamos, psychologue et formatrice à l’Association Pikler-Lòczy de France. Oublions le transat, c’est à plat dos sur un tapis ferme mais confortable qu’un nouveau-né sera le plus à même de découvrir le monde qui l’entoure, d’expérimenter ses sensations. Sa tête est au repos, la cage thoracique à plat dégage ses poumons, ses mains et ses pieds sont mobiles, sa colonne vertébrale n’est pas sollicitée.
C’est à la fois le point de départ de ses acquisitions motrices et la position la plus reposante pour lui, à laquelle il reviendra une fois fatigué de ses découvertes. Sa tenue n’entrave pas ses mouvements ; à ses pieds, des chaussons souples et légers. A sa disposition, des petits objets simples et légers, pourquoi pas un tapis composé de différentes textures, et les sons et mouvements de la vie quotidienne autour de lui…
Avant qu’il ne soit capable de se déplacer, on évite le mobile ou le portique d’activités qui nous font croire que l’enfant a besoin d’être stimulé. « C’est un objet fatigant, envahissant et permanent auquel l’enfant ne peut échapper, explique Sylvie Lavergne psychomotricienne et formatrice à l’Association Pikler-Lòczy de France. Il propose des éléments qui « jouent seuls » que l’enfant peut difficilement porter à sa bouche, une activité pauvre en fin de compte. De plus un enfant qui a l’habitude du portique n’a pas l’expérience motrice d’aller chercher des objets autour de lui à 180°. »

L’adulte, un observateur vigilant
Le plus difficile pour les pros sera peut-être de ne pas interrompre l’enfant dans son activité spontanée, de ne pas intervenir de façon directe. Il ne faut imposer ni la stimulation, ni l’enseignement, ni une aide qui rendrait l’enfant passif et dépendant de nous. Selon Emmi Pikler, « le seul but des interventions de l’adulte est de maintenir les conditions optimales à l’activité auto-induite des enfants ». Si l’enfant est en difficulté, montre des signes de fatigue ou d’ennui, on cherche à « recréer une situation ou il retrouvera soit son bien-être, soit son plaisir à être actif, sans pour autant rompre avec le principe de non ingérence dans le jeu ».
En voulant se retourner, Ysé se retrouve un peu coincée, le bras sous sa poitrine et commence à pleurer. Après lui avoir laissé le temps de sortir seule de cette position inconfortable, on va faire le minimum nécessaire pour qu’elle retrouve la maîtrise de la situation. Sans la changer de position, sans la tourner sur le ventre ou sur le dos, ceci elle doit le faire seule. On s’interdit aussi de saisir brusquement bébé par l’arrière sans crier gare. « Ce n’est que dans le cas où il est au tout début de l’acquisition d’une nouvelle possibilité motrice qu’on l’aide si nécessaire à retrouver une position bien connue mais jamais une position qu’il ne peut pas trouver par lui même », rapportent de leur visite à l’Institut Lòczy Geneviève Appell et Myriam David dans leur ouvrage de référence, « Lòczy ou le maternage insolite » (Eres). La place des professionnels est dans l’observation de ses accomplissements que l’on peut commenter à haute voix, pas tant pour le féliciter mais plutôt pour lui faire prendre conscience de lui-même.

Un espace lisible pour une activité spontanée  
Plus l’enfant va pouvoir explorer par lui même, plus il va pouvoir se sentir compétent, développer sa confiance en lui, acquérir une certaine sécurité dans cette liberté qui lui est laissée.  Autour de 18 mois, les « jeux libres » occupent rapidement une part importante de ses journées. Jouer sous le regard de l’adulte qui met à sa disposition « en libre service » le matériel nécessaire qui pourra l’intéresser, à cette période donnée de son développement. L’important, c’est la progression avec laquelle les jeux seront introduits. « Je pense que ça va l’intéresser donc je le mets à sa disposition, sans scénariser ».
Un espace lisible, toujours rangé de la même manière dans lequel il trouvera ses repères. Et s’il y a trop de choses, l’enfant tombe vite dans l’ennui. Là encore, dans le jeu spontané, à nous rester en retrait et dans l’observation. « Quand on conduit le jeu, on fixe nos propres règles afin que le jeu soit intelligible pour nous. On se met à conduire un jeu symbolique qui n’est plus celui de l’enfant. Ce qui est intéressant, c’est d’accueillir sa façon de jouer, de le soutenir, d’être content pour lui et non pas content de lui » souligne Sylvie Lavergne. On occupe ainsi une autre place auprès de l’enfant, sans que notre rôle soit diminué pour autant.

Le laisser construire des bases solides
Nous pouvons en revanche stimuler constamment son activité motrice par la progression des situations et la diversité du matériel mis à sa portée, par le respect du rythme de ses acquisitions : ce qui compte c’est que chacune procède de la précédente, formant ainsi une solide base qui donne à l’enfant une réelle maitrise et une confiance en lui inébranlable. C’est pourquoi l’enfant n’est jamais mis dans une situation dont il n’a pas encore le contrôle par lui même. Au quotidien, c’est donc ne pas mettre l’enfant en position assise avant qu’il ne sache s’y mettre seul, ne pas le hisser en haut du toboggan avant qu’il sache y monter, laisser l’enfant monter l’escalier et franchir les obstacles à sa manière en restant derrière lui pour le sécuriser, ne pas l’aider à marcher en lui tenant les bras en l’air, ou a défaut le plus bas possible etc. Des attitudes adoptables au quotidien en mode réflexe, à la maison comme dans un accueil collectif.  

Tout se passe dans les temps de soin
Pratiquer la motricité libre au quotidien, c’est aussi demander à l’enfant une coopération active aux gestes nécessaires pour les soins. C’est à dire utiliser ses gestes spontanés pour l’habiller, lui demander d’avancer sa main pour enfiler son vêtement ou bien de lever ses jambes pour le change, et attendre son mouvement. « L’enfant grandissant, devient de plus en plus conscient de cette coopération qui à un moment devient volontaire » remarquent Geneviève Appell et Myriam David.
D’ailleurs, « pour accompagner l’enfant dans son développement, le laisser construire ses capacités propres, on va le soutenir tout particulièrement dans ses temps de soin, de change, de toilette, explique Sylvie Lavergne. En prenant le temps de d’échanger, de saisir son regard, de lui montrer ce que l’on fait. C’est cette conversation active et essentielle qui le renforce, le nourrit et qu’il réutilise après, seul sur son tapis, dans son jeu. » C’est pourquoi un moment de soin doit être préservé, ne doit pas être interrompu, même par une collègue pourtant bienveillante. 

 

Et pourquoi pas assis ?

C’est généralement autour de 6-9 mois que les parents montrent une certaine fierté à présenter leur bébé assis, bien calé par des coussins, parfois même sur les conseils de leur médecin. C’est mal connaître le développement psychomoteur de l’enfant. Pourquoi tant de hâte ? Dans cette position, l’enfant met toute son énergie à maintenir un équilibre précaire, ses jambes immobiles qu’il ne peut plier, sa tête si lourde sur un dos peu musclé et douloureux. Ce n’est pas en étant mis assis que l’enfant apprend à connaître et maitrîser son corps. Crispé et immobile, il est dépendant de l’inconfort physique (voire la douleur) de cette position dont il ne peut sortir. Il se désintéresse de son environnement, se met à pleurer, se raidit, finit par tomber. Si l’on persiste a le placer assis, son corps aura alors bien du mal à mettre en place une organisation au service d’une évolution psychomotrice harmonieuse…

 

Pour en savoir plus

• Lòczy ou le maternage insolite, de Myriam David et Geneviève Appell, Editions Eres • Porter le bébé vers son autonomie, Anna Pinelli, Editions Eres • Association Pikler- Lòczy de France - www.pikler.fr • Film -

source:lesprosdelapetiteenfance.fr